Publié le 10 mai 2021
A l’occasion de son colloque « Nouveau consommateur, nouvelles supply chains » en avril dernier, Bretagne Supply Chain a reçu Célia Rennesson, directrice de Réseau Vrac. L’occasion d’évoquer avec elle les enjeux logistiques du vrac et le projet HubVrac, dont le pilote a été lancé sur le territoire francilien.
Bretagne Supply Chain : Pouvez-vous présenter Réseau Vrac en quelques mots ?
Célia Rennesson : L’association Réseau Vrac regroupe 1.800 professionnels du vrac. Nous accueillons l’ensemble de la filière vrac, du producteur aux distributeur : des transformateurs, des équipementiers, des fournisseurs de service, des magasins (épiceries spécialisées, magasins bio et porteurs de projet).
BSC : Qu’en est-il du développement du vrac en France ?
C.R. : C’est un marché qui n’est plus une niche. Aujourd’hui, 5,4 millions de foyers français consomment du vrac et le secteur est en forte croissance. Nous avions 40% de croissance avant la crise. Elle a été ralentie du fait de la Covid-19 mais les tendances et les perspectives sont à la hausse avec la possibilité de dépasser les 3 milliards d’euros d’ici 2022. Nous avons également en France un pouvoir législatif qui nous soutient et qui est favorable au développement du vrac […].
BSC : Comment expliquez-vous l’explosion de cette tendance ?
C.R. : En France, nous avons un parc de magasins déjà bien équipés : 90% des magasins bio et 70% des hypermarchés sont équipés d’un rayon vrac. Avant la création de Réseau Vrac, il existait une vingtaine d’épiceries vrac. Aujourd’hui, on en compte environ 700 sur tout le territoire. Au-delà de ces magasins, nous avons une offre vrac qui s’étoffe. Nous sommes initialement plus sur des produits d’épicerie secs, mais nous allons vers le liquide, alimentaire et non alimentaire, et aussi vers la cosmétique et les détergents. L’année 2020 a aussi été marquée par l’arrivée des grandes marques dans le vrac. Les consommateurs français auront de plus en plus accès à des produits vrac diversifiés. Enfin, l’année dernière, la loi AGEC [Anti-Gaspillage pour une Economie Circulaire, ndlr] nous a permis de faire rentrer une définition de la vente en vrac dans la loi et de donner le droit au consommateur de faire ses courses avec ses propres contenants. Et, en ce moment nous avons le projet de loi Climat & Résilience, dont l’article 11 sur les 20% de surface de vrac dans les magasins de plus de 400m2 a été voté en 1er lecture l’Assemblée Nationale.
BSC : Pour accompagner ce développement, vous avez lancé le projet HubVrac qui part d’un constat : les produits vrac que l’on retrouve dans les commerces sont livrés dans des emballages, rarement ré-employables et parfois même non recyclables.
C.R. : Il faut savoir qu’il y a toujours de l’emballage dans le secteur du vrac car les produits ne se télé-transportent pas du champ au magasin. Nous avons toujours besoin d’emballage. La question posée est la suivante : de quel emballage a-t-on besoin ?
Quand le citoyen fait ses courses en vrac, il utilise des contenants qui sont ré-employables ou réutilisables comme des bocaux, des Tupperware ou des sacs en tissu. Sur ce segment, nous ne produisons pas de déchet. Mais que se passe-t-il en amont, entre le fabricant et le magasin ? C’est cette question d‘une supply chain « zéro déchet » qu’on a voulu adresser au sein de l’association à la genèse du projet en 2019.
Nous avons des commerçants qui, en travaillant avec un certain nombre de producteurs locaux, pouvaient réemployer ces emballages de conditionnement. Mais nous avions toute une partie des produits locaux et nationaux qui ne trouvaient pas de réemploi et nous nous retrouvions avec des déchets d’emballage jetables. Nous avons donc voulu régionaliser à nouveau ces flux, en créant une plate-forme qui viendrait reconditionner les produits vrac dans des emballages ré-employables comme des bacs pour les livrer aux magasins. Quand les bacs sont vides, ils sont stockés jusqu’à la prochaine commande du magasin. Un transporteur-logisticien vient récupérer les bacs sales et les rapporte sur la plate-forme où ils seront nettoyés dans un centre de lavage et rendus propres, pour pouvoir être reconditionnés à nouveau de produits vrac.
Cette idée prend maintenant vie. Le projet HubVrac a démarré le 15 février en Ile-de-France avec les infrastructures existantes. Nous n’avons pas construit de plate-forme logistique. Nous sommes partis de la plateforme FM Logistic de Mormant (77), et nous utilisons un transporteur et trois formats de bacs de tailles différentes. Aujourd’hui, le pilote est porté par une vingtaine d’acteurs impliqués dans le projet (commerçants et fournisseurs) et une vingtaine de références produits. Pour des raisons de simplicité, seul le vrac sec est concerné pour le moment. Nous n’avons pas encore terminé la première boucle. Les produits ont été livrés dans les épiceries et nous attendons que les bacs soient terminés pour pouvoir recommander, venir les récupérer, puis les laver dans le centre de lavage de PandoBac à Rungis (94).
BSC : Quels sont les premiers retours de ce pilote ?
C.R. : Nous suivons un certain nombre de critères : environnementaux, logistiques et économiques. Le bilan est attendu pour le mois de juin. Pour le moment, nous avons les premiers retours des utilisateurs. Nous avons notamment noté que les bacs choisis n’étaient pas forcément tous hermétiques. Nous allons devoir y travailler.
Au niveau de l’étiquetage, il va falloir repositionner l‘étiquetage pour le suivi des bacs car nous utilisons une application qui suit bacs tout au long de leur parcours [livraison, lavage, reconditionnement, ndlr] et ces étiquettes devront se trouver à la fois sur le couvercle et sur le côté du bac.
Nous avons aussi des retours sur le remplissage des bacs. Nous avons eu des bacs parfois trop remplis ou pas assez : il faut trouver la juste mesure.
On s’est rendu compte que le format des bacs n’était pas forcément adapté à la taille des réserves des épiceries. Nous sommes donc en train de revoir le format mais également les matériaux, peut-être plus souples ou pliables pour prendre moins de place au fur-et-à-mesure qu’ils se vident.
Enfin, nous avons eu un cas de produit pour lequel le sucre s’était cristallisé et avait fait apparaitre quelques traces blanches, tout en restant propre à la consommation.
Nous allons travailler sur ces premiers retours pour pouvoir poursuivre l’aventure.
BSC : Votre rêve serait un site unique par région ?
C.R. : Pour le moment, nous le testons avec les infrastructures existantes. Nous avons un site de conditionnement à un endroit et un site de lavage à un autre en Ile-de-France. L’idée est de pouvoir concentrer ces tâches de conditionnement et de lavage sur une même plate-forme. A l’issue de ce premier test, quand nous aurons fini deux ou trois boucles et si les indicateurs sont au vert, nous allons pouvoir intégrer davantage d’acteurs (d’autres fournisseurs, commerçants, magasins franciliens) et rechercher des financements pour pouvoir construire cette plate-forme, la proposer dans d’autres régions et venir intégrer également d’autres prestataires de service.
BSC : Qu’en est-il de la GMS ?
C.R. : Il faut intégrer tous les acteurs ! C’est un projet qui démarre avec les pionniers, les épiceries 100% vrac qui sont motrices sur le sujet. Mais si le projet a vraiment des impacts environnementaux, économiques et logistiques positifs, c’est un projet qui doit s’adresser à l’ensemble de la filière, et donc à l’ensemble des magasins équipés d’un rayon vrac ou entièrement dédiés au vrac.
BSC : La suite du développement nécessitera-t-il des moyens ?
C.R. : Il faut effectivement des moyens. Aujourd’hui, le test du projet repose sur des investissements des acteurs pilotes, principalement les fournisseurs, les prestataires de service, les commerçants et notre association. Pour passer à l’échelle supérieure, il va falloir des investissements notamment pour créer cette plateforme.
BSC : Etes-vous suivis par les pouvoirs publics ?
C.R. : Nous sommes en forte discussion avec la Région Ile-de-France qui est intéressée par le projet.
BSC : Le projet répond-il aux attentes du consommateur en termes d’hygiène et de sécurité alimentaire ?
C.R. : Le système adresse à la fois la problématique de réduction des déchets dans l’emballage en amont, mais aussi la traçabilité et la sécurité puisque le conditionnement des produits est réalisé en salle blanche. L’application de tracking permet de suivre les bacs et toutes les informations jusqu’au commerçant. Les centres de lavage sont des installations industrielles qui travaillent déjà pour la restauration à emporter ou collective. Nous sommes sur des normes d’hygiène drastiques. Enfin, au regard de l’évolution des rayons vrac et des pratiques, l’association a mis en place des formations aux bonnes pratiques d’hygiène pour les magasins. Nous avons aussi écrit un livre « Vrac, mode d’emploi » qui s’adresse aux citoyens pour leur donner les bons gestes. Cela va permettre à toute la chaîne de valeur de former, d’informer, de professionnaliser et d’harmoniser les pratiques de tous les maillons, du producteur au consommateur, et de faire en sorte que ce mode de consommation et de distribution soit sans risque.
BSC : Quelles sont les prochaines étapes du projet HubVrac ?
C.R. : Terminer la première boucle, analyser les indicateurs de suivi, commencer à rechercher les financements et d’ici deux mois, si tous les voyants sont au vert, inclure de nouveaux fournisseurs, magasins et prestataires.