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Rencontre avec Gabriel, mutualiseur de flux

Publié le 3 avril 2019

Quels seront les changements qui surviendront dans les activités, les métiers et les compétences (techniques et transverses) dans les secteurs de la logistique et des transports ? C’est à cette question qu’une récente étude du Département des Etudes Transport et Logistique de l’AFT tente de répondre, notamment au travers de « job fictions ».

Ces « job fictions » cherchent à se représenter des situations de travail pour quelques métiers « cibles » à horizon 2025. Ils envisagent les possibilités de changement dans les activités, les métiers, les compétences (techniques et transverses) à travers de personnages dont les métiers vont être fortement impactés par des mutations technologiques, organisationnelles, de modes de vie…

Ces fictions ont été élaborées au cours d’ateliers de travail animés par l’AFT et auxquels ont contribué des représentants de Bretagne Supply Chain, de Brest Business School, des Chambres d’Agriculture de Bretagne, de la FNTR Bretagne, de la Région Bretagne et de TLF.

2 septembre 2025

J’ai passé une bonne partie de ma carrière à l’exploitation d’une entreprise de transport en tant que directeur d’agence. Ces dernières années, les choses ont beaucoup évolué : pression des pouvoirs publics pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, pression des clients sur les prix, les délais, les fréquences de livraison, les remontées d’informations, révolution numérique : avec les balises IoT, les cartons, boîtes et conteneurs sont désormais connectés et dotés d’outils de communication qui transfèrent des informations en temps réel relatives à leur position, l’itinéraire à suivre ou l’état des marchandises qu’ils transportent ; et même les véhicules deviennent émetteurs d’informations sur leurs capacités de rechargement, directement auprès des donneurs d’ordre potentiels situés sur leur itinéraire ou à proximité.

Depuis l’avènement des smart contracts, on assiste peu à peu à une forme d’autonomisation dans les mises en relation entre chargeurs et conducteurs, et dans l’allocation des ressources et des moyens de transport, qui modifie profondément le métier d’exploitant transport. Sur les écrans des salles d’exploitation on peut dorénavant suivre l’évolution en temps réel des taux de remplissage des véhicules au fur et à mesure de ces nouvelles prises de commandes. Les exploitants ajustent les paramètres des algorithmes d’optimisation à l’origine des enchères combinatoires qui détermineront les prix des smarts contracts, selon le taux de marge recherché par exemple.

Pour ma part, j’avais moins d’échanges avec les conducteurs et les clients, ce que j’appréciais pourtant le plus dans mon activité, ça me rendait plutôt malheureux, je suis vraiment quelqu’un de contact.

Il y a deux ans, j’ai fait savoir sur les réseaux sociaux que j’étais ouvert à d’autres opportunités professionnelles. J’ai alors été assez rapidement approché par CRC Services qui cherchait à densifier son réseau de centres de routage collaboratifs dans l’ouest de la France. Certes, je connaissais bien le territoire, les contraintes des prestataires de transport et logistique, et aussi les attentes des chargeurs. Mais je crois que c’est surtout ma e-réputation qui m’a permis de me distinguer. Je n’ai pas apporté de soin particulier à mon personal branding pendant ma carrière, comme le font les jeunes aujourd’hui dès leurs études, mais j’entretiens de très nombreuses relations sur facebook, twitter, linkedIn avec les personnes rencontrées au gré de mes activités professionnelles et personnelles (j’ai toujours été fort engagé dans la vie associative locale) ce qui a conduit les agences de e-rating à noter très positivement mon niveau d’influence.

J’ai été chargé par CRC Services d’organiser la mutualisation des flux logistiques en provenance ou à destination de la Bretagne sur des plateformes locales partagées multi-distributeurs et multi-industriels. Je joue pour les industriels bretons engagés avec CRC Services le rôle stratégique d’un « tiers de confiance » à qui ils confient ce qui doit être partagé et optimisé, un tiers qui va être légitime à gérer de manière confidentielle des flux et des données d’acteurs de la chaîne de distribution parfois concurrents.

J’ai construit et consolidé un réseau de partenaires industriels et cartographié leurs flux de marchandises dans l’espace et le temps afin d’analyser et détecter des modèles pour mutualiser les flux, et de localiser des nœuds logistiques où implanter des entrepôts. Ce schéma n’est pas figé, il évolue sans cesse en fonction des nouveaux partenaires qui entrent dans la démarche, et des nouvelles exigences de leurs clients. Le système doit rester flexible et agile pour s’approcher des solutions barycentriques et identifier la meilleure localisation des infrastructures à mettre en œuvre.

Quand il expédie vers le CRC, chaque industriel regroupe plusieurs commandes de clients, et en aval chaque distributeur reçoit des réceptions « multi-industriels », mieux remplies. Les fréquences de livraison sont adaptées aux besoins du client, à un coût maîtrisé.

Notre modèle est vraiment en rupture avec les modes de fonctionnement en silo habituels qui limitent les optimisations possibles. Il permet aux chargeurs de réduire leurs coûts et d’améliorer leur qualité de service, en augmentant les leviers d’optimisation de chacun, et plus particulièrement des prestataires transport-logistique, grâce à une mutualisation poussée des moyens, mais aussi en réduisant drastiquement le nombre de tâches dupliquées entre les acteurs et en supprimant des interactions opérationnelles entre les industriels et les entrepôts des distributeurs (du fait de litiges, de l’obsolescence des stocks…).

La prestation logistique peut être suivie de bout en bout sur un portail web, avec tous les éléments de traçabilité et les indicateurs de performance, grâce à l’application des standards EPCIS qui rendent interopérables les bases de données de traçabilité. Les flux d’information sont dématérialisés et automatisés de l’entrée/sortie du CRC jusqu’au client final, et gérés au travers d’un système d’information ouvert et sécurisé en mode SaaS (ou Cloud) qui traite et compile les données de tous les acteurs en toute confidentialité. Le point clé de cette administration des flux est qu’il ne remet pas en cause les systèmes existants chez chacun des acteurs. Cela évite des ressaisies de données, ou des appels téléphoniques. Le chargeur acquiert une visibilité complète d’exécution, et partage au sein d’un périmètre qu’il a défini des données avec les autres acteurs de la chaîne.

Avec la mutualisation sur les centres de routage collaboratif, de nombreux points de stockage intermédiaires devenus redondants ont été supprimés, et les stocks dans la chaine ont diminué d’au moins 50%. Les stocks restent sous la responsabilité directe de chaque industriel afin qu’il puisse optimiser ses flux et ses productions, mais les règles de gestion d’espace mutualisé sont clairement définies et connues de tous.

Bien sûr, certains industriels ne mutualisent pas tous leurs flux, en particulier ils conservent souvent la maîtrise de l’organisation des livraisons direct magasin en camion complet depuis leurs usines. Néanmoins, du fait de la consolidation et de l’optimisation des flux d’un nombre croissant d’acteurs, notre solution est devenue incroyablement compétitive et prend une place majeure dans les schémas logistiques de nos clients. Elle ouvre également la possibilité de nouveaux marchés aux TPE et PMI du territoire, dont elle renforce les atouts concurrentiels en leur permettant de déployer leurs produits au niveau national à un coût raisonnable.

Les taux de remplissage des véhicules atteignent au moins 80% dans les deux sens, ce qui était inenvisageable auparavant, et la consolidation des flux nous a aussi permis de reporter une partie d’entre eux sur du transport combiné rail-route, et même short sea, selon les destinations.

Tous ces gains doivent être encore mieux connus de la profession. Et il reste des freins culturels et psychologiques forts, en particulier à l’égard du partage d’informations nécessaire pour mutualiser. C’est mon rôle d’écouter les réticences des chargeurs, je leur montre que je comprends leurs inquiétudes et je mets tout en œuvre pour leur apporter les garanties qui les rassureront. Après les avoir convaincus de confier à l’essai quelques flux, je m’attache à en réaliser avec eux l’évaluation et reste à l’écoute de leurs attentes. Bien entendu le fait que je sois neutre, ni chargeur, ni transporteur, mais commissionnaire de transport, donc en capacité d’engager ma responsabilité, joue aussi un rôle clé dans le processus de confiance.

Pour accompagner encore davantage nos clients dans leur démarche d’amélioration de leur performance supply chain, nous avons recruté une prévisionniste, Nolwenn. C’est une nouvelle compétence mutualisée que nous mettons au service des chargeurs avec lesquels nous travaillons. Nous jouons ainsi à plein notre rôle de coordination et d’optimisation des process de la supply chain en relation avec nos différents clients.

Nolwenn implante chez les clients les principes du pilotage par la demande (DDS&OP et DDMRP), des processus qui visent à pallier les problèmes de partage d’information et améliorer la réactivité de la supply chain. Souvent les entreprises souffrent d’un manque de vision globale, d’un partage d’informations aléatoires avec comme c’est souvent le cas des décisions prises en petit comité. Les incohérences entre les différentes fonctions de l’entreprise entraînent une insatisfaction client. Nolwenn s’appuie sur la collaboration des différents services des entreprises qui font appel à elle (ventes, marketing et contrôle de gestion…) afin de fiabiliser les prévisions et transmettre une vision unique et partagée de ce que sera la demande. Le résultat est transmis au supply planner et au responsable planification pour établir le plan d’approvisionnement et le plan de production.

De la connaissance du besoin des clients finaux découle aussi le dimensionnement et la location des stocks tampon (buffers) dans la chaîne pour intégrer les évènements exceptionnels (saisonnalité, promotions…). On amortit les variations de commandes, le stress associé chez les prestataires logistiques et les distributeurs (lié aux risques de ruptures), et on réduit le lead time pour le client final… En participant à fluidifier la chaîne, CRC Services apporte une vraie valeur ajoutée à l’ensemble de ces partenaires ; les liens de confiance n’en sont que renforcés.

Un facteur clé de réussite consiste à convaincre le comité de direction et les directeurs des différents sites de la démarche, leur adhésion est cruciale. Nolwenn fait beaucoup de pédagogie et anime des formations auprès de dirigeants locaux.

Issue d’un master en statistiques et big data appliqué à la supply chain, Nolwenn était précédemment data-miner dans un grand groupe dont le siège est implanté en région parisienne, mais elle souhaitait revenir en Bretagne. Générer des stocks optimaux sur une base prévisionnelle nécessite d’anticiper les comportements d’achat à partir d’immenses volumes de données, et de traiter en temps réel ce flux d’information d’un bout à l’autre de la chaîne logistique pour améliorer la gestion du risque fournisseur, recalculer le réapprovisionnement ou réduire le taux d’erreur des prévisions commerciales. Les modèles de machine learning, qui apprennent de manière continue et autonome à partir des nouvelles données, et qu’ont généralisé les éditeurs de solutions, constituent une aide précieuse pour construire des prévisions de plus en plus fiables et précises.

Pour ma part, et alors que je vais bientôt prendre ma retraite, je mesure les bouleversements que le secteur a connu ces dernières années. Cela m’a appris à regarder avec confiance et bienveillance les mutations technologiques qui ont fait irruption dans nos activités. En fait, le déploiement de nouvelles technologies n’a donné que plus d’importance aux relations humaines. Les soft skills (empathie, créativité, pensée critique…) ont pris une importance cruciale, car les machines en sont – pour le moment – dépourvues. On a davantage besoin de personnes ayant le sens du service, qui sauront se mettre à la place du client, et créer du lien autour d’elles. Ces qualités sont les plus recherchées par les entreprises en cette période de 3ème révolution industrielle.