Publié le 26 mai 2023
Seule région française où des démarches de concertation autour de la logistique urbaine durable ont fleuri dans chacun de ses départements, la Bretagne se distingue par la dynamique volontariste de ses collectivités et la forte mobilisation des acteurs économiques. La région a également vu naitre un bon nombre d’entrepreneurs innovants et engagés dans l’art d’acheminer des marchandises en ville à vélo, bien avant l’invention du mot « cyclologistique ». La Bretagne ne serait-elle pas en passe de devenir un territoire d’innovation et de progrès durable en matière de logistique urbaine ?
« Il y a une synergie commune qui s’est mise en place en Bretagne » constate Raphaël Lhernault, chargé de missions pour le programme InTerLUD (Innovations Territoriales et Logistique Urbaine Durable). Il accompagne actuellement les deux métropoles bretonnes de Rennes et Brest mais aussi Quimper, Lorient et même l’agglomération de Lamballe qui, toutes, ont ouvert un espace de dialogue entre les acteurs privés et publics afin de placer la logistique urbaine au cœur du développement économique, écologique et social de leur territoire.
Rennes Métropole a lancé en 2014 une enquête pour faire un état des lieux des conditions de livraison dans le centre-ville. L’adoption du plan de déplacement urbain a formalisé la volonté d’une démarche autour de la mobilité des marchandises. Claire Souet, responsable unité étude de mobilité de la métropole se souvient : « La nouvelle mandature de 2020 s’est approprié le sujet de la logistique urbaine et a souhaité que soit rédigée une charte ». Signée en juin 2021, celle-ci compte aujourd’hui près de 80 signataires engagés à travailler ensemble sur 19 fiches actions autour des sujets du foncier, de la livraison, du digital, de la ZFE-m (Zone à Faible Emission mobilité) et de la transition des parcs mais aussi, et c’est une spécificité unique en France, les enjeux sociaux. Les participants y remontent des situations à risque et tentent de les adresser collectivement par des aménagements de l’espace public, le rappel des réglementations, le partage des bonnes conduites, des visites terrain… La sensibilisation y joue un rôle important. Les associations de cyclistes ont pris part aux discussions dans le but d’améliorer la cohabitation des modes. Il est également question de valorisation des métiers et de formation afin de faire face à la pénurie de main d’œuvre. Dans ce groupe de travail sont également évoquées les conditions de travail des livreurs de repas des grandes plateformes digitales, et l’«uberisation» du métier de livreur, sujet également largement abordé à Brest.
« En Bretagne, il y a un vrai esprit de collaboration et une identité culturelle forte. On a l’habitude de travailler ensemble et une capacité à construire en collectif. C’est pour cela que nous avons l’un des plus grands nombres d’associations par habitant. »
Victor Antonio, Direction Mobilité, Brest métropole
La question de la logistique urbaine a été également identifiée par la métropole brestoise dès 2014 comme un axe de travail en matière de planification et de déplacements. Avec l’adoption du Plan Local d’Urbanisme (PLU) « facteur 4 », la livraison en ville a, depuis, été largement réévoquée dans les différents documents de planification métropolitains. Une concertation sur le sujet a démarré en janvier sous la direction du développement économique et animée par Bretagne Supply Chain. Près de 120 acteurs se sont retrouvés lors de trois ateliers et un quatrième sera organisé le 15 juin prochain. « On note une très forte mobilisation, mais surtout une attitude constructive des acteurs qui veulent être impliqués dans les décisions » remarque Victor Antonio, directeur à la direction des mobilités de Brest Métropole. « En Bretagne, il y a un vrai esprit de collaboration et une identité culturelle forte. On a l’habitude de travailler ensemble et une capacité à construire en collectif. C’est pour cela que nous avons l’un des plus grands nombres d’associations par habitant. »
La logistique urbaine des métropoles, mais pas que…
C’est effectivement ce qui a pu être constaté à Lamballe Terre et Mer. Loin des contraintes des grandes métropoles, la logistique urbaine s’est intégrée aux réflexions d’aménagement du territoire. Un travail collectif initié par une association locale regroupant des acteurs économiques de la ville. Une vingtaine d’acteurs participent à ces ateliers où ils dessinent des scénarios pour leur agglomération sur le moyen et long terme. Toutes les branches concernées y sont représentées : des entreprises, des élus, des techniciens de la ville, des commerçants, des acteurs de l’économie sociale et solidaire, des représentants des filières du bâtiments, des transporteurs et des grossistes… « La taille de la ville n’est pas un frein parce que nous avons tout de même de forts enjeux, la volonté des acteurs et la possibilité de rentrer dans un programme comme celui d’InTerLUD pour nous accompagner dans cette démarche » affirme Floria Moreau, chargée de projet « Petite ville de demain » au sein de Lamballe Terre et Mer.
Les collectivités n’ont pas toujours à leur disposition les chiffres de ce que représente la logistique urbaine sur leur territoire. Mais une fois le diagnostic posé, le dialogue avec les parties prenantes devient nécessaire et fructueux. Une concertation est également en cours au sein de l’agglomération Quimper Bretagne Occidentale sous la direction des mobilités. La ville n’avait pas prévu d’intégrer la mobilité des marchandises dans son étude initiale mais grâce à l’accompagnement du programme InTerLUD, le diagnostic a permis de mettre en exergue les enjeux de la logistique sur son territoire et ses nombreux acteurs. Clément André est à la direction des mobilités et de l’espace public. Il constate le succès de la concertation qui mobilise les acteurs économiques et les élus des communes de l’agglomération. « Nous avons ouvert le dialogue avec des personnes avec lesquelles nous ne le faisions pas avant ». La charte constitue un levier d’innovation, car collectivement, le champ des possibles est plus large. A Quimper, les élus ont volonté d’accompagner les entreprises à expérimenter la cyclologistique, à faire évoluer l’accès en centre-ville ainsi que les horaires de livraison.
A Lorient, une concertation a été lancée début d’année 2023. Celle-ci connait une forte mobilisation, comme toutes les autres concertations bretonnes. Claire D’arco, chargée de mission logistique urbaine durable à l’agglomération le concède :« Nous avons été interpellé par la place que représente la logistique du transport de marchandises sur le territoire et par la volonté des professionnels d’échanger autour de la mobilité des marchandises ». Les services techniques et les directions de planification des communes de l’agglomération sont mobilisés dans la concertation. Ils ont pris conscience des enjeux. Des rencontres se font désormais sur le terrain à leur demande avec les professionnels de la livraison afin d’être sûr d’adapter l’espace public à leurs activités.
Les collectivités s’emparent de l’expertise et de la volonté des professionnels de la livraison pour que les villes de demain soient adaptées durablement aux activités nécessaires au développement économique de leur territoire. L’enjeu est désormais de faire perdurer ce dialogue dans lequel toutes les parties prenantes ont à gagner.
La Bretagne, terre d’innovations
La Bretagne, ce sont également des acteurs engagés et des innovations pour une logistique urbaine plus durable. En 2009, alors que le mot « cyclologistique » n’existe pas encore, Fabrice Marteaux fonde les Triporteurs Rennais. Il propose une solution rapide, écologique et silencieuse pour la livraison du dernier kilomètre à Rennes à vélo cargo. En 2012, Jérôme Ravard créé son projet coopératif de cyclologistique Tout En Vélo et déploie sa vision sociale et sociétale du métier de livreur à vélo. Fleximodal, entreprise rennaise fondée par Charles Levillain, a rendu possible la livraison de palettes, de lourdes charges et d’intrants en température dirigée en vélo cargo. Ces pionniers de la cyclologistique ont joué un rôle primordial dans la structuration de la filière au niveau national, notamment en participant activement à la création de la fédération professionnelle de la cyclologistique. Aujourd’hui, toutes ces innovations et ces progrès participent à la soutenabilité de la livraison en ville. Elles permettent un regard nouveau et positif sur les livraisons en ville et leurs métiers.
Considérant l’implication des acteurs bretons dans la structuration de la filière de la cyclologistique, considérant la mobilisation volontaire et collaborative des parties prenantes dans les concertations, considérant le travail collectif entre acteurs privés et publics, et les innovations techniques, sociales, environnementale qui en découlent, alors on ne peut plus ignorer la place et l’influence de la Bretagne dans le secteur de la logistique urbaine.