Publié le 13 septembre 2024
Après un an de travail, le Shift Project a présenté les conclusions du projet « Vers des Économies Régionales Bas Carbone » (VERB) a l’occasion du Forum Economique Breton. Electrification des routes, développement de la cyclologistique, baisse de la demande de transport, massification… : le Shift Project dresse la liste des actions à déployer pour atteindre les objectifs de décarbonation à l’échelle régionale. Et (ce qui ne gâche rien) reconnaît l’importance de Bretagne Supply Chain pour le territoire breton.
Le projet VERB du Shift Project vise à accompagner les acteurs économiques et politiques des régions françaises dans la décarbonation. En expérimentant en Bretagne, le projet entendait fournir une méthodologie pour aligner les actions régionales avec les objectifs climatiques nationaux, tout en mettant l’accent sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la transition énergétique et la création d’emplois locaux.
Le rapport met en avant l’importance de l’échelle régionale pour atteindre les objectifs de décarbonation et assurer la résilience de la France, surtout dans un contexte d’incertitude politique. Il propose un cadre d’analyse permettant aux acteurs économiques et politiques de chaque région de s’engager dans la transition énergétique.
« La transition énergétique est inévitable. Elle peut être volontaire, guidée par la nécessité climatique, ou imposée par la raréfaction des ressources fossiles, exacerbée par des facteurs géopolitiques. »
Le rapport insiste sur le fait que des solutions techniques ne suffiront pas à elles seules.
« Il est nécessaire de réorganiser les économies locales vers une plus grande sobriété énergétique et matérielle, sans pour autant réduire l’emploi. »
Quelles solutions pour le fret ?
Les experts du Shift Project ont analysé les secteurs du logement, de la mobilité quotidienne, du fret, de l’agro-industrie et de la culture.
Pour le fret, le Shift Project a posé des principes de base. Pour les experts, l’usage des biocarburants doit être limité et temporaire (horizon 2030), en dehors de l’autoconsommation agricole et des usages non « électrifiables ». L’hydrogène, quant à lui, n’aurait d’intérêt stratégique que pour des usages et dans des conditions locales limitées et spécifiques (et donc pas pour le transport). L’électrification directe et rapide des usages resterait la plus efficace en termes de réduction des émissions et de dépendance énergétique régionale. A ce titre, l’électrification de certaines routes pourrait aider à massifier à moyen terme le passage nécessaire des camions à l’électrique, en réduisant la taille des batteries, et permettre de limiter rapidement l’usage de biocarburants. L’électrification des véhicules utilitaires légers, déjà rentable et très efficace, devra être accélérée à court terme.
Enfin, le report modal devra être organisé de manière massive pour dépasser les limites des leviers technologiques.
Des scénarios ambitieux mais optimistes
Sur les 3 secteurs quantifiés (fret, logement, mobilité), les arbitrages proposés en Bretagne pourraient permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre de plus de 50 % entre 2020 et 2030, et de 99 % entre 2020 et 2050.
Cette scénarisation repose sur une forte électrification des usages, ce qui à 2050 augmentera la demande en électricité. Les arbitrages proposés :
- Permettent à la Bretagne de faire sa « juste part » dans la réduction nationale des émissions de gaz à effet de serre aux horizons 2030 et 2050
- Aboutissent à une demande énergétique bretonne en 2050 accaparant une part « raisonnable » de la production nationale potentiellement disponible, pour tous les vecteurs énergétiques à l’exception :
- Des biocarburants : la demande bretonne serait 2 à 3 fois supérieure à cette part « raisonnable » (mais en diminution de 99 % par rapport à la demande bretonne actuelle)
- Du bois-énergie : la demande bretonne de 3,4 TWh serait 2 fois supérieure à cette part « raisonnable »
Emplois : des gagnants et des perdants
D’après les calculs des experts du Shift Project, 149.000 emplois seraient concernés par les effets de la décarbonation, soit 11,5% de l’emploi breton. Les arbitrages initiaux impliquent 32.000 emplois supplémentaires à 2030, une hausse « massive » de 21 %, avec des risques et opportunités variables selon les secteurs.
Le résultat reste une création nette de plus de 15.000 emplois à 2050, soit une hausse 10 % sur le périmètre étudié, mais avec de forts contrastes par sous-secteur.
Pour le fret, le transport routier de marchandises serait le secteur qui perdrait le plus d’emplois, contrebalancé par le développement du ferroviaire mais aussi surtout de la cyclologistique (+14.000 emplois).
Les besoins de redirection et de mise à l’échelle de la formation professionnelle initiale et continue sont immenses, mais ils peuvent être quantifiés et séquencés. Évaluer les tensions par métier permet de calibrer et déployer la formation en conséquence.
Des effets de rééquilibrage sont ainsi attendus. Le Shift Project attend la création de 4.000 postes pour les chauffeurs de cars… mais avec des risques de concurrence avec le fret routier à court terme. Le rééquilibrage pourrait aussi être territorial et fléché vers les PME : environ la moitié des emplois à créer peuvent concerner les zones de densité faible ou moyenne, et les produits à plus faible intensité en capital (comme le vélo et les véhicules intermédiaires par rapport aux voitures, ou la rénovation globale par rapport à la construction).
Coopération, coopération, coopération…
Pour le Shift Project, une coopération forte par secteur est indispensable pour réussir les changements de modèle. Leurs analyses montrent ce besoin de coopérer pour permettre les changements d’usage comme la mutualisation des flux au sein du fret, le partage des infrastructures industrielles dans la mobilité ou les rénovations globales dans le logement.
Cela doit aller de pair avec une coordination entre secteurs afin d’éviter les impasses énergétiques et d’organiser la sobriété structurelle. A ce titre, pour les rédacteurs, la sobriété dans le fret est rendue possible par celle de la construction et la mutualisation des flux agroalimentaires, qui constituent à eux deux la majorité des flux transportés.
Pour le Shift Project, l’impact de l’augmentation des taux de remplissage est significatif dans tous les secteurs. Elle peut être grandement facilitée par une coopération entre secteurs et une direction claire donnée à l’aménagement du territoire. La part significative de denrées agricoles et agroalimentaires dans le transport de marchandises nécessite d’associer les chaînes logistiques à la décarbonation pour coordonner et mutualiser les chaînes logistiques (meilleur remplissage des camions, rapprochement du consommateur, report modal, etc.)
« Une entité fédératrice spécifique au secteur comme BSC contribue à la réussite collective des éventuels projets de report modal, de plateformes intermodales, de mise en commun de données (pour faciliter la mutualisation et la massification), par exemple ne serait-ce qu’en faisant le lien entre ses adhérents et les représentants de la région. »
Le Shift Project propose ainsi d’ « appuyer Bretagne Supply Chain (BSC) dans les actions fédérant le secteur pour sa transition ».
Et de conclure :
« Il est urgent de lancer ce dialogue social inédit pour aboutir à des transformations régionales décisives pour relever les défis énergétiques et climatiques. »