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Le « jeune » : comment l’attirer et le garder dans l’entreprise

Publié le 22 octobre 2019

Cécile de Galzain, consultante spécialisée en intégration professionnelle et en « savoir être » en entreprise au sein du cabinet Faire Face, a mené pendant deux ans une étude sur les relations entre les jeunes générations et le monde de l’entreprise. Résultat : de précieux conseils pour comprendre les nouvelles attentes du « jeune ». Bretagne Supply Chain l’a rencontré dans le cadre de l’événement « Emplois logistiques : avec qui et comment travaillerez-vous demain ? ». Entretien.

BSC : Durant deux ans, vous avez étudié le rapport entre le « jeune » et l’entreprise, notamment en questionnant plus de 160 dirigeants, managers et DRH. Quels sont les premiers enseignements que vous en avez tirés ?

En réalisant cette étude de terrain, à l’écoute des entreprises et de leurs histoires au quotidien avec les jeunes générations, j’ai compris à quel point elles avaient vraiment changé ces dernières années. On est arrivé au bout d’un système qui ne fonctionne plus. L’évolution numérique et sociétale qui en découle a fait bouger les lignes. Sans le savoir, les jeunes ont amené les entreprises à sortir de leur zone de confort et à évoluer vers autre chose.

Elles ont réalisé qu’il était nécessaire de comprendre les attentes des jeunes générations même si elles sont dérangeantes, de comprendre leur manière d’aborder le travail pour mieux les rejoindre.

« Comprendre et rejoindre les jeunes peut permet aux entreprise de mieux les attirer, mieux les motiver, mieux les impliquer, mieux collaborer et donc mieux les fidéliser. »

Cécile de Galzain, Faire Face

Aujourd’hui, les entreprises travaillent « l’humain » : la QVT (Qualité de Vie au Travail), la RSE, les rythmes, les espaces de travail, les open spaces… Elles favorisent le travail en mode agile, collaboratif, en mode projet, l’intrapreneuriat ou encore les modes de communication adaptés. Les entreprises qui travaillent sur ces enjeux réussissent à attirer les jeunes et les impliquent mieux. J’ai pu le vérifier sur le terrain pendant ces deux ans. C’est flagrant.

BSC : A quel niveau ces bouleversements doivent-ils être pris en compte ?

La réussite de l’intégration des jeunes dans l’entreprise, ce n’est pas uniquement l’affaire du manager direct ou des RH. C’est d’abord une décision stratégique d’un dirigeant, qui demande un véritable engagement de l’entreprise et un investissement de temps. La réussite de l’intégration des jeunes ne peut se réaliser sans qu’à un moment, l’entreprise se pose, réfléchisse et mette en place un certain nombre d’actions. Par la suite, c’est une décision qui implique chacun des collaborateurs.

BSC : Vous dîtes que ce travail doit être entrepris avant même le recrutement. C’est-à-dire ?

On s’aperçoit que quel que soit le métier ou le type d’entreprise, les sociétés qui arrivent le mieux à attirer les jeunes sont celles qui se sont fait connaitre. Elles n’ont pas attendu d’être dans l’urgence de recruter : elles ont pris les devants ! Elles sont allées chercher les jeunes avant qu’ils ne les cherchent : dans les écoles, dans des salons… et sur les réseaux sociaux. Je rappelle à ce sujet que les jeunes y passent entre trois et sept heures par jour ! Logiquement, les entreprises qui se sont fait connaitre seront prioritaires dans leur choix.

BSC : Quels sont les éléments sur lesquels l’entreprise doit communiquer dans ce cadre ?

Les sociétés doivent communiquer sur les éléments qui permettront aux jeunes de se projeter dans l’entreprise. Il ne s’agit pas de communiquer uniquement sur le chiffre d’affaires, les produits et ou les services proposés mais aussi sur les sujets qu’ils recherchent. Quelles sont les valeurs de l’entreprise et les conditions de travail proposées ? Qui sont les personnes qui travaillent déjà dans l’entreprise et quelles sont les méthodes de management ? Comment sont accueillis et considérés les jeunes collaborateurs ? Il ne s’agit surtout pas de vendre du rêve mais d’afficher une transparence et une cohérence.

« Les outils de communications utilisés par l’entreprise en disent long. Un site Internet peu travaillé, une absence sur les réseaux sociaux ou lors de rencontres dans les écoles renverront une image d’inadaptation de l’entreprise à la jeune génération. »

Cécile de Galzain, Faire Face

Pour un manager, cela implique d’être visible dans des écoles, sur les salons, d’aller à la rencontre des jeunes mais également d’être visible « sur Youtube », d’avoir un blog ou de communiquer sur les réseaux sociaux. De cette manière, il renverra une image plus « humaine », donnera des indices sur sa personnalité ou son mode de management et sera perçu par les jeunes comme un manager plus « accessible ». Quand le jeune a la possibilité de « choisir » son manager, ça fait vraiment la différence.

BSC : Au moment de l’entretien, quels sont les erreurs que l’entreprise doit éviter ?

Les entreprises doivent travailler en premier lieu sur les moyens de recrutement. Les nouvelles technologies permettent aujourd’hui d’utiliser les réseaux sociaux pour recruter, de prendre en compte des CV vidéos, de diffuser les offres d’emploi sur Youtube. N’oubliez pas que les offres sont aujourd’hui lues majoritairement via un smartphone.

Dans le cadre du recrutement, deux autres impératifs doivent être pris en compte : le besoin de bienveillance et de respect, et la transparence. Un jeune ne postulera pas dans une entreprise qui maltraite ses candidats ou, a minima, qui ne donne pas de réponse, même négative. Durant l’entretien, les jeunes ont besoin qu’on ne se focalise pas uniquement sur leurs compétences et leurs connaissances métiers mais qu’on s’intéresse également à leur personnalité, à leur singularité.

Cécile de Galzain, Faire Face

De la même manière, il ne s’agit pas de survendre l’entreprise. Il vaut mieux parler avec enthousiasme des avantages, sans en cacher les contraintes. Les jeunes ont besoin de savoir ce qui les attend réellement en positif mais également en négatif. Ils choisiront alors l’entreprise en connaissance de cause et ne seront pas déçus par la suite. Les départs trop rapides de jeunes sont souvent liés à des déceptions. La transparence peut réduire le nombre de candidats mais augmenter l’engagement  et la fidélité de ceux-ci ensuite.

BSC : Comment les jeunes se positionnement- ils dans un collectif ? Quels sont leurs modes de fonctionnement et leurs attentes dans un groupe ?

Ces jeunes ont l’habitude de fonctionner « en réseau », en communauté, en groupe, le plus souvent « virtuels » mais c’est une tendance qui est naturelle et nécessaire pour eux. Faire partie d’une entreprise doit pouvoir vouloir dire « faire partie d’un groupe, d’une tribu, d’un clan ». Pour que l’entreprise arrive à les fédérer, il faut déjà que ses collaborateurs soient unis autour de valeurs, de projets et de vision communs. L’implication de chacun dans le processus d’intégration est déterminante pour « créer un sentiment d’appartenance. Cela permet de créer les conditions d’adhésion aux valeurs de l’entreprise mais aussi d’assurer la compréhension de la stratégie globale de l’organisation.

« En travaillant sur l’intégration, les dirigeants peuvent faire des jeunes de vrais ambassadeurs de l’entreprise. »

Cécile de Galzain, Faire Face

BSC : Cela se ressent-il aussi dans les relations dans l’entreprise ?

Les jeunes préfèrent les rapports égalitaires avec leur hiérarchie : une relation trop « dominé-dominant » a tendance à freiner leur engagement dans le travail et leur créativité. Le travail « entre pairs » leur plait par ce que c’est plus facile de travailler avec un autre jeune qui a les même codes que lui. Ils sont particulièrement sensibles à la notion de « réciprocité » : « je travaille, j’apprends avec et de tout le monde. Je donne, je reçois et tout circule ». Ils aspirent à un mode de travail plus « solidaire » basé sur le partage d’expertises, de bonnes pratiques, d’idées. En ce sens le « reverse mentoring » leur permet de partager aux plus « anciens » et ainsi de se sentir utile.

Les jeunes attendent une collaboration « gagnant-gagnant ». Ils sont prêts à s’investir de façon intense mais, en contrepartie, ils sont exigeants sur leurs conditions de travail et sur les moyens mis à leur disposition pour exercer leur mission. S’ils jugent trop faible le retour sur investissement, ils n’hésiteront pas à partir.

Cela impose à l’entreprise de nouvelles méthodes de management et de gestion. Les jeunes générations veulent être acteurs de l’entreprise dès le début : co-créer, participer mais aussi avoir les moyens d’expérimenter, de rater pour recommencer, de tester de nouvelles choses. Il ne faut pas oublier qu’un jeune sur deux veut créer son entreprise. Il faut donc valoriser la collaboration et la prise d’initiatives pour libérer les idées innovantes en les transformant en véritables projets d’entreprises.

Enfin, les jeunes générations ont besoin d’autonomie et de confiance. Deux tiers des jeunes souhaitent pouvoir organiser librement leurs activités dans le cadre d’objectifs fixés. Ils recherchent bien un cadre mais ils ont besoin d’autonomie et de liberté, de possibilité d’expression au sein de ce cadre.  Et ce cadre pour qu’il soit suivi doit pouvoir être clairement expliqué. C’est cela qui les mènera à l’autonomie et à la responsabilisation. Ce sont des éléments stratégiques de leur motivation et de leur fidélisation.

BSC : Dans votre étude, vous dîtes aussi que les jeunes générations ont besoin de sens. C’est-à-dire ?

Pour s’impliquer, les jeunes générations veulent aujourd’hui comprendre. Ils doivent en premier lieu être en cohérence avec leurs valeurs (éthiques, morales, solidaires, écologiques, sociétales) mais aussi comprendre l’utilité et la finalité de leur travail. Pour l’entreprise, il s’agit d’expliquer les règles, les process et bannir la célèbre phrase « on a toujours fait comme ça ». Ce principe s’applique à tous les niveaux. Prenons l’exemple des horaires, souvent vécus comme une contrainte par les jeunes collaborateurs. Il s’agit pour le management d’expliquer quelles sont les conséquences si les règles ne sont pas suivies. Quel est l’impact pour le collaborateur ? Pour l’équipe ? Pour l’entreprise ? Pour le client ? Cela nécessite un temps d’explication en amont. Et cela permet d’afficher le rôle primordial de ce nouveau collaborateur dans la réussite de l’entreprise.

BSC : Les jeunes générations imposent aussi au management de revoir sa copie.

Je ne le dirais pas de manière aussi tranchée mais il vrai que le management « à l’ancienne » semble moins bien leur convenir car ils ont des attentes différentes qui bousculent effectivement un peu les  managers. Ils recherchent un management de « proximité », des managers qui s’intéressent à eux personnellement, à leur singularité et pas uniquement à leurs résultats.

Elles ont besoin d’être considérées. Le manager doit prendre le temps de connaitre individuellement ses collaborateurs. Cela nécessite aussi un suivi régulier et personnalisé. Allez déjeuner régulièrement avec vos collaborateurs ! Les jeunes veulent être écoutés et considérés plus que « challengés ». Le manager doit bâtir une relation de confiance avec chacun pour faciliter le travail en autonomie.

Les jeunes ont une communication directe, des échanges rapides et sans détour. Ce qui implique un besoin de relation proche et informelle avec leur manager. Ils s’attendent à pouvoir communiquer souvent, simplement et directement avec leur hiérarchie.

Cela demande un investissement de temps mais ça vaut le coup. Le jeune se sent plus en confiance, plus considéré, et soutenu ce qui favorisera une meilleure relation, et un investissement plus fort dans sa mission.

Il faut aussi développer une « culture du feedback » pour que les jeunes puissent progresser et se sentir utile. Le manager idéal est aujourd’hui davantage un coach, un guide, un mentor qui fait grandir avec bienveillance. Son respect se gagne par ses compétences et son exemplarité.   Cependant, tout ne repose cependant pas sur les épaules du management intermédiaire qui devrait être « parfait ». Il représente une carte maitresse mais il ne peut être seul.

BSC : Les conditions de travail sont-elles à revoir par les entreprises ?

Les jeunes générations ont besoin de conditions de travail adaptées, en termes de rythme, de variété, de nouveauté, de lieu de vie, d’outils, d’ambiance… Les jeunes vont vite ! Donc évitez les réunions soporifiques : privilégiez les meetings rapides, voire debout.

Autre impératif pour les jeunes générations : l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. C’est une question cruciale aujourd’hui, qui impose de réfléchir sur les questions du temps partagé, du télétravail, de la flexibilité des horaires et du temps de travail.

« Pour la grande majorité des jeunes diplômés, la flexibilité est le premier critère de motivation. »

Cécile de Galzain, Faire Face

Cela a aussi un impact profond sur la manière de travailler. Aujourd’hui, on travaille partout ! Les lieux de travail deviennent des lieux de vie, et inversement. On regarde des matchs ensemble, on commande des pizzas, on déjeune en équipe… Les lieux sont ouverts. Les niveaux hiérarchiques se mélangent.

Les outils familiers les rassurent et les aident. Ils sont habitués aux changements et aux évolutions rapides. Il leur faut donc de la technologie, des tableaux numériques interactifs, du digital, des réseaux sociaux, des vidéos… Le smartphone est leur premier outil d’apprentissage et de communication au quotidien : il serait illogique de ne pas s’en servir.

« Les jeunes aujourd’hui vous disent : « Les mails, c’est pour les vieux ». Effectivement, ils utilisent principalement les messageries et les réseaux sociaux pour communiquer ».

Cécile de Galzain, Faire Face

BSC : Enfin, vous dîtes que l’apprentissage et la formation sont indispensables. En quoi ?

Les jeunes générations veulent avoir plusieurs cordes à leur arc pour s’adapter à différents contextes. Ils savent que les situations, les métiers, les entreprises, les technologies changent et changeront encore. Ils veulent donc développer un maximum de compétences pour être prêts à s’adapter. Cela les rassure. Ils ont aujourd’hui une vision plus transversale et moins cloisonnée des métiers que les anciennes générations.

Pour en savoir plus et agir : https://www.faire-face.com/