Publié le 24 juin 2020
La crise du Covid-19 doit-elle remettre en cause l’engagement des entreprises régionales dans l’alternance ? « Au contraire » pour Gildas Martin, directeur adjoint et Elise Le Fouler, alternante au sein de l’entreprise Kenty.
Bretagne Supply Chain : Quels sont aujourd’hui les avantages de l’alternance et de l’apprentissage pour les étudiants ?
Gildas Martin : Pour les étudiants, l’intérêt premier de l’alternance reste d’apprendre un métier sur le terrain : associer la théorie à la pratique. Les alternants ont, à la fois, le cursus universitaire, avec des intervenants extérieurs et leurs expériences, des enseignants qui peuvent apporter les aspects théoriques, mais aussi une confrontation directe avec le terrain, en lien avec les professionnels. Par ailleurs, s’il y a un avantage qu’il ne faut pas mettre de côté, c’est qu’un alternant est rémunéré pendant sa formation. Cela lui permet de faire ses études mais aussi de commencer à être autonome.
Elise Le Fouler : L’apport principal de l’alternance reste pour moi la professionnalisation. Cela nous permet de nous former, d’acquérir un diplôme tout en gagnant de l’expérience sur un métier. Cela permet aux alternants de s’impliquer dans une entreprise, d’être opérationnels car on acquiert de l’expérience pendant plusieurs années et d’avoir des missions avec plus de responsabilités, sur du long terme. Cela a aussi un intérêt financier, puisque nous sommes rémunérés pendant l’alternance.
Gildas Martin : L’alternance, c’est apprendre un métier sur le terrain et une porte d’entrée vers le monde de l’entreprise. C’est valorisant pour l’étudiant mais c’est également un avantage intéressant pour les entreprises.
Bretagne Supply Chain : Quel intérêt peut en retirer l’entreprise ?
Gildas Martin : Un alternant peut apporter des connaissances que l’entreprise n’a pas ou qu’elle maîtrise mal, comme un manque de méthodologie ou d’organisation dans les processus. L’intégration d’un alternant nous permet de nous poser les bonnes questions et de revoir nos processus. Avec sa propre vision, l’alternant est une ressource nécessaire pour progresser dans nos réflexions. En parallèle, cela nous permet de découvrir sur le long terme la personne qui va être avec nous pendant 1 ou 2 ans, voire plus si elle continue sa carrière dans l’entreprise. Dans ce cas, elle aura déjà un historique d’une année ou deux avec son tuteur.
Elise Le Fouler : Cela permet en effet aux entreprises de bénéficier d’un regard neuf. Un alternant sera force de propositions pour avancer sur les problématiques de l’entreprise.
Quels sont les travers dans lesquels l’entreprise ne doit pas tomber face à un alternant ?
Gildas Martin : Un alternant n’est pas juste une personne présente quelques semaines dans l’année et qui retourne ensuite à l’école. L’entreprise doit l’intégrer à 100% comme partie prenante de l’équipe, au même titre que les autres collaborateurs.
Elise est avec nous depuis un an. Elle est en formation à l’ISFFEL en Mastère Management de la stratégie et de la performance commerciale. Elle a commencé à travailler chez Kenty en septembre 2019 en tant que conseillère commerciale et, à compter de septembre prochain, elle aura pour mission de trouver les leviers qui nous permettront d’améliorer les flux d’informations entre le service commercial et la logistique. Elle sera intégrée dans les différents projets de l’entreprise.
Le tuteur est un acteur qui doit avoir tout son sens. Il n’est pas juste un référent sur le papier. Il doit accompagner l’alternant, le suivre et le faire travailler sur des sujets précis. J’interviens auprès d’établissements de formation et, chaque année, j’interroge les étudiants pour savoir comment se passe leur alternance. Tous les ans, je suis confronté à un ou deux étudiants qui sont dans des situations difficiles parce qu’on ne s’occupe pas d’eux.
Elise Le Fouler : J’ai plusieurs camarades qui connaissent des situations compliquées, essentiellement parce que les missions étaient mal cadrées au départ et mal comprises par l’alternant. Il faut que les missions soient claires et précises pour les deux parties : que l’alternant comprenne pourquoi il est là et que l’entreprise l’accompagne tout au long de ses années d’alternance. Avant d’accepter une offre, les futurs alternants doivent valider qu’il y a un vrai projet d’entreprise dans le cadre de leur embauche.
Gildas Martin : Les alternants sont parties prenantes de l’évolution des entreprises. Ils font aussi évoluer les autres salariés à leur contact. Quand je travaille avec un ou une alternante, je me dis que je ne suis pas là uniquement pour lui apprendre : je pense que j’en apprends tout autant.
La crise du Covid-19 doit-elle empêcher les entreprises de s’engager dans l’alternance ?
Gildas Martin : Avant l’épisode de Covid-19, l’alternance et l’apprentissage connaissaient une progression importante. Il ne faut pas qu’aujourd’hui, tout cela tombe à l’eau.
Aujourd’hui, de nombreux secteurs sont fortement perturbés. Certaines entreprises craignent d’aller chercher de l’alternance parce qu’elles se posent déjà des questions sur leurs plans d’économies. Elles sont focalisées sur la reprise, sur la limitation de la perte de chiffre d’affaires, sur la réduction des charges externes. Mais je ne pense pas que ce soit une bonne façon de voir les choses. Plus qu’une charge, l’alternance doit nous permettre de régler les problématiques que l’on a pu connaître et nous amener la professionnalisation qui nous manque.
Le Covid-19 a mis en lumière des dysfonctionnements dans les processus de nos entreprises. Nous avons parfois un mode de fonctionnement obsolète : nous ne savons pas nous parler, nous n’avons de fluidité dans notre communication, dans nos flux d’informations, peut-être aussi dans le dimensionnement de nos équipes. Demain, un alternant peut-être la personne qui va nous éclairer sur les moyens d’améliorer ces processus.
Elise Le Fouler : Je suis assez polyvalente chez Kenty. Durant la première année, j’ai été au service commercial et l’année prochaine, je vais évoluer vers le service logistique. L’alternance permet à l’entreprise d’avoir un collaborateur polyvalent dans ses équipes.
Gildas Martin : Elise était chez Kenty avant la crise, et elle sera là après. L’année prochaine, elle va nous aider à nous poser et réfléchir sur comment améliorer nos processus, tenter d’apporter des réponses aux éventuels dysfonctionnements, travailler sur des sujets de perspective. Je suis ravi qu’elle soit dans l’entreprise. C’est maintenant qu’il faut investir dans l’alternance !