Publié le 11 mars 2022
Heppner vise 50% de sa flotte en GNV d’ici 2025. Une décision qui n’empêche pas le transporteur de s’intéresser aux autres solutions alternatives et de se laisser la possibilité de faire évoluer sa stratégie pour s’adapter aux développements technologiques et aux évolutions économiques. Rencontre avec Christophe Rébulard, directeur régional Bretagne pour faire un point de situation sur la transition du groupe sur la région.
Bretagne Supply Chain : Comment ont démarré les réflexions du Groupe Heppner autour de la transition énergétique ?
Christophe Rébulard : Il y a eu une forte impulsion engagée en 2019 dans le cadre de l’Université Heppner. C’est une organisation interne où nous formons les cadres en devenir sur différents sujets. Dans le cadre de cette Université, chaque groupe est invité à travailler sur un projet qu’il va soumettre à la Direction. Si celle-ci considère qu’un projet est intéressant, elle peut décider de le mettre en application.
Durant cette session, mi 2019, elle s’est engagée sur le sujet de la transition énergétique, au travers d’un programme que l’on a appelé « DriveGreen ». Cela a été le déclenchement de la bascule des véhicules gazole vers des véhicules au gaz. Il s’est agi d’accompagner la plupart de nos moyens de production – qu’ils soient internes ou externes – vers des véhicules au gaz, en expliquant le bien fondé et l’intérêt de cette décision. Le projet a séduit puisqu’il est allé au-delà de l’interne, en entraînant nos sous-traitants dans la démarche.
BSC : Qu’en est-il aujourd’hui ?
C.R. : Aujourd’hui, le projet « DriveGreen » est devenu un projet de transition énergétique. Nous sommes conscients que c’est bien une transition qui doit s’opérer et qu’une seule solution ne va pas répondre aux attendus de demain en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’empreinte carbone.
Aujourd’hui, le gaz est probablement la solution la plus adaptée à court terme pour les poids lourds. C’est pour cela que nous nous sommes engagés avec l’idée de basculer, d’ici 2025, à peu près la moitié de notre flotte en véhicule gaz.
BSC : Quels sont les freins aujourd’hui de la filière gaz ?
C.R. : Il y a évidemment quelques bémols. Premièrement, il y a peu de constructeurs de véhicules engagés sur le gaz. Certains vont aller vers des solutions électriques et l’hydrogène va forcément faire son apparition. Pour le court terme, le gaz est pertinent, même si nous sommes conscients qu’il s’agit d’une énergie de transition et qu’il faudra avancer sur d’autres solutions. Mais à long-terme, l’essor du biogaz justifie nos efforts d’aujourd’hui sur le gaz, car nous mettons aujourd’hui en place le matériel et les infrastructures pour demain. C’est aussi la seule énergie qui nous permet d’agir dès maintenant sur notre empreinte carbone.
Ensuite, se pose la question du nombre de stations. En Bretagne, nous sommes dans une région plutôt vertueuse sur cette question. Le démarrage a été un peu lent mais cela s’est accéléré. D’ici deux ans, nous aurons un nombre de stations plus conséquent sur le territoire. C’est aussi un élément sur lequel il faut absolument qu’on continue à faire du lobbying auprès des grandes agglomérations pour qu’elles soient moteurs sur le sujet. Nous avons mené une action par le biais de TLF pour alerter les différentes métropoles bretonnes sur la demande d’infrastructures et le manque de disponibilités de foncier pour installer des stations. Les municipalités ont tendance à dire que ce n’est pas dans leurs compétences. Le sujet ne peut pas être vu que par le prisme d’une ville. Il s’agit de les amener à réfléchir sur un plan de développement régional. S’il n’y a pas beaucoup de stations, nous allons très vite nous retrouver dans des situations compliquées, surtout si nous sommes un certain nombre à développer les véhicules gaz.
BSC : Quel est le dernier « bémol » ?
C.R. : Le dernier bémol est le coût de l’énergie. Au moment où nous avons fait les études pour basculer vers des véhicules gaz, le surcoût économique était supportable, à la fois pour l’entreprise et pour nos clients. L’intérêt de l’opération était jouable. Nous ne savons pas si l’élément conjoncturel d’aujourd’hui va durer longtemps mais nous nous apercevons que, dans la période actuelle, cela devient beaucoup plus complexe. Le gaz est aujourd’hui à des niveaux de coûts qui rendent le projet plus compliqué. Est-ce que ça va durer longtemps ? Je ne sais pas. Mais actuellement, c’est vraiment un point de préoccupation.
BSC : Cela peut-il aller jusqu’à remettre en question les objectifs de transition d’Heppner ?
C.R. : C’est un peu tôt pour le dire. Actuellement, c’est un peu plus compliqué. Mais pour l’instant, nous n’avons pas arrêté notre projet. Nous continuons. Les commandes de matériels sont faites. Je pense que si cela devait durer, cela amènerait à retarder certaines échéances. Aujourd’hui, à court terme, l’opération est économiquement peu supportable. Nous achetons des véhicules plus chers et le carburant ne compense pas ce surcoût. Ce n’est pas une situation qui peut perdurer si l’on veut avancer sur cette transition énergétique.
BSC : D’autres énergies pourraient-elles émerger plus rapidement dans le mix énergétique d’Heppner ?
C.R. : Si le contexte actuel devait durer, nous devrons accélérer la diversification de notre mix énergétique, qui fait partie du plan initial mais qui faute de solution technologique s’est cantonné pour le moment à quelques initiatives. Nous pourrons augmenter la part d’électrique, de biocarburant, et l’hydrogène, quand les constructeurs et les infrastructures seront au rendez-vous. L’arrivée des ZFE [Zones à Faibles Emissions, ndlr] va aussi intensifier les évolutions sur les matériels. Le projet d’Heppner pourrait être adapté et nous ouvrir vers d’autres énergies qui, aujourd’hui, ne sont pas économiquement viables. Je pense à l’électrique, qui est recevable aujourd’hui sur des petits véhicules mais pas sur les poids lourds. Nous n’en sommes encore qu’à des opérations de communication, de test, mais non viables économiquement.
BSC : Y a-t-il d’autres énergies alternatives chez Heppner aujourd’hui ?
C.R. : Nous avons de l’électrique mais de manière extrêmement marginale à Strasbourg. En parallèle, nous allons développer les flottes de véhicules de tourisme en électrique pour une partie des collaborateurs. Pour l’instant, nous sommes passés pour partie sur de l’hybride.
Nous avons aussi développé, notamment sur Rennes et dans d’autres villes en France, les solutions de type « triporteurs ». Je pense que cela fait partie de la transition.
BSC : Quelle est la vision d’Heppner sur l’hydrogène ?
C.R. : Certaines collectivités nous posent la question : « pourquoi n’allez-vous pas sur l’hydrogène ? ». Nous leur expliquons, qu’aujourd’hui, il y a un certain nombre de complexités à développer l’hydrogène et qu’économiquement, ce n’est pas supportable par une entreprise privée. Elles sont bien conscientes que, entre le prix d’un bus au gaz et un bus hydrogène, c’est sans commune mesure. S’il n’y a pas la puissance publique pour mener l’investissement et le supporter, ce n’est pas jouable économiquement.
Au sein d’Heppner, nous avons visualisé l’hydrogène comme un sujet plus lointain. L’arrivée des premiers véhicules en production, nous ne le voyons pas avant 2028-2030. Si les événements font que l’énergie devient hors de prix – que ce soit le gaz ou le gazole -, peut-être que les progrès en matière de véhicules électriques et hydrogène vont s’intensifier en termes de coût de production. Ce n’est pas la technologie sur l’hydrogène qui pose problème mais c’est surtout la production et les infrastructures de transport et de stockage de l’énergie. Peut-être que cela arrivera plus vite et nous amènera à corriger notre projet.
BSC : La transition doit donc être évolutive ?
C.R. : Il faut que la « transition » devienne vraiment le vrai leitmotiv et ne pas se dire « nous voulons tout de suite avoir la solution idéale, sans passer par des phases intermédiaires ». Nous ne pouvons pas passer d’une situation non satisfaisante, à l’idéal en une fois. Ce n’est pas possible. C’est vrai pour nous transporteurs, acteurs privés, mais c’est vrai aussi pour les collectivités.
BSC : Comment travaillez-vous sur cette transition avec vos sous-traitants ?
C.R. : Certains de nos sous-traitants ont encore des véhicules extrêmement anciens. Dans certaines régions, il y a encore des véhicules qui sont loin d’être aux dernières normes. Là aussi, nous avons un travail à faire pour leur faire comprendre que cela va coûter, mais que, s’ils ne le font pas maintenant, ils risquent de mettre en péril leur propre business à moyen terme.
Le passage à des normes Euro V ou VI fait aussi partie de la transition énergétique. C’est beaucoup plus naturel, plus évident. A certains petits acteurs du transport, nous faisons passer le message suivant : « N’attendez pas. Peut-être que la première étape pour vous, c’est déjà d’investir dans de l’Euro VI, ce qui vous permettra de répondre à des degrés d’exigence de la loi « Climat & Résilience ». C’est un début et vous passerez ensuite à des phases supérieures ». Cela fait aussi partie de la transition.
BSC : Heppner accompagne-t-il ses sous-traitants et partenaires transport ?
C.R. : Nous leur proposons nos prix négociés avec les constructeurs et carrossiers, et nos conditions d’achat de gaz. Nous avons aussi des solutions de financement préférentiels de 2 banques partenaires. Surtout, nous nous engageons sur a durée avec eux, ce qui leur permet de sécuriser leur investissement. C’est rassurant. Chacun prend son risque mais nous prenons un engagement de moyen terme avec eux. C’est gagnant-gagnant.
Il y a maintenant deux ans, nous avons fait les premières réunions avec nos sous-traitants pour leur présenter les évolutions réglementaires, ce qu’ils devaient prendre en considération, ce que l’on imaginait, ce qu’on leur proposait… Ça a été une phase de découverte pour eux. Ça les a intéressés. Ça a été extrêmement riche en termes d’échanges. Qu’ils veuillent s’engager ou non, ils nous ont remercié de les avoir alertés bien en amont. C’est aussi ce qui nous a permis, avec certains d’entre eux, d’avoir un accompagnement sur les années à venir.
BSC : Comment discutez-vous avec vos chargeurs ?
C.R. : En tant que directeur régional, je suis porteur d’un budget. Je suis conscient que ce que je pensais dépenser à 100, je le dépense à 115. C’est un vrai sujet. Nos clients sont conscients de la nécessité d’évoluer et de prendre en considération la dimension écologique de leurs activités. Dans leurs appels d’offres, certains intègrent la démarche RSE d’une entreprise – y compris la transition énergétique – comme étant une partie importante dans le choix. Cela peut aller, pour certains, jusqu’à 20% du poids de la décision. C’est énorme ! Ils sont prêts à cela. D’un autre côté, ils sont peu à accepter le principe que cela coûte plus cher. Il y a peut-être un bon tiers de nos clients qui l’entend mais il faut que cela reste de l’ordre de quelques pourcents. Ce qui n’est aujourd’hui pas tout à fait tenable.
BSC : Quelles sont les suites pour vous ?
C.R. : Notre « comité de pilotage de la transition énergétique » est très actif et va nous accompagner sur les solutions alternatives qui peuvent être mises en œuvre. Le sujet est toujours en mouvement chez nous. Nous apportons des options possibles, des solutions nouvelles… et nous nous intéressons à tous les sujets qui peuvent, demain, nous aider dans ce schéma de transition énergétique.
Notre organisation a basculé de « Drive Green » à « transition énergétique ». C’est aussi le signe que nous sommes conscients qu’il va falloir élargir le panel de solutions alternatives à moyen terme. Tout le monde ne fait pas les mêmes choix : certains peuvent être attentistes, d’autres privilégier les tests avec des véhicules électriques… Il y a tous les cas de figure chez les acteurs du transport. Je pense que tout cela contribue à faire progresser le collectif.