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Décarboner la Bretagne : la recette du Shift Project pour la logistique

Publié le 7 mai 2024

L’association « The Shift Project » éclaire les débats ainsi que les décideur·se·s politiques et économiques pour décarboner l’économie. Elle a posé sa valise en Bretagne il y a quelques mois pour travailler à l’échelon régional. Alors quelles sont les principales orientations identifiées par le rapport intermédiaire relatives à la supply chain, la logistique et le transport de marchandises ? Eléments de synthèse…

Focus sur la Bretagne

L’association The Shift Project veut éclairer les acteurs économiques et politiques pour sortir des énergies fossiles. Un « Plan de Transformation de l’Economie Française » a été élaboré en 2022. Il listait des solutions pragmatiques pour décarboner l’économie, favoriser la résilience et l’emploi.

Planification écologique, Stratégie Nationale Bas-Carbone 2… Les ambitions nationales semblent élevées. Mais les objectifs dans les Régions ne sont pas alignés à ce jour sur l’objectif national de neutralité carbone en 2050 (SNBC2). Les politiques régionales et sectorielles doivent donc être cohérentes entre la planification économique, la décarbonation et l’emploi.

The Shift Project a décidé de porter son regard sur les économies régionales. Et l’association a choisi la Bretagne pour lancer une réflexion méthodologique. Le rapport intermédiaire de ce travail initié à l’automne 2023 est sorti le 17 avril 2024. Il présente des orientations pour une planification régionale bas-carbone répondant aux enjeux énergie, climat et emploi à horizon 2050.

Le transport de marchandises : vital mais dépendant des énergies fossiles

L’objectif affiché dans la SNBC2 est de réduire de 28% les émissions de CO2 des activités de transport de marchandises d’ici 2030. Ces activités sont vitales mais sont aujourd’hui fortement dépendantes des énergies fossiles.

Les équipes de The Shift Project ont analysé de nombreux éléments : volumes transportés (17 millions de tkm transportés en Bretagne en 2017, 4ème région française), modes de transport des marchandises (99% routier), la nature des marchandises transportées (2/3 des tonnages = matériaux de construction et minerais + produits alimentaires et agricoles), les infrastructures et les réseaux ainsi que leur capacité, les distances moyennes parcourues (intra régional et intra-départemental fortement majoritaires en Bretagne en tkm), le parc de véhicules, la topographie…

The Shift Project a mis en lumière certains éléments significatifs. Par exemple, en Bretagne, le fret utilise 75% de l’énergie produite en Bretagne. Il y a donc un enjeu de sobriété énergétique énorme du transport de marchandises sur ce territoire. La pertinence d’un outil comme Bretagne Supply Chain sur le territoire a également été mise en avant. Les clusters servent de point d’entrée, de point d’appui et disposent d’un panel de contacts et d’une expertise d’une grande d’aide.

Les leviers de décarbonation du fret

Globalement, la palette des leviers mobilisables pour décarboner le transport de marchandises est assez large :

  • La réduction de la demande de transport (moins de tkm : relocalisation, augmentation de la durée de vie des objets…)
  • L’électrification des véhicules et des infrastructures (routes électrifiées)
  • Le report modal vers le fer et le fluvial
  • La massification et la mutualisation
  • La cyclologistique

Les leviers de décarbonation du freten Bretagne

Mais ces leviers ne sont pas toujours mobilisables dans des ampleurs comparables en Bretagne. Pour atteindre les objectifs nationaux, The Shift Project donne les orientations suivantes pour la Bretagne :

  • Limiter la demande de transport (en tkm) en transportant moins et moins lourd (emballages)
  • Limiter la demande de transport en augmentant le taux de remplissage des véhicules :
    • baisser les cadences / fréquences de livraison
    • favoriser l’usage des doubles planchers, des palettes fines et légères, du chargement vrac, du gerbage
    • réduire des retours à vide via la mutualisation et la massification sur des plateformes multi-utilisateurs
  • Décarboner l’énergie en électrifiant le parc de véhicules et les infrastructures (routes électrifiées pour la recharge dynamique) et en augmentant la part des biocarburants (attention cela nécessite des surfaces agricoles dédiées aux céréales). Le renouvellement complet du parc se fait naturellement en 15 ans (horizon 2039). L’atteinte des objectifs nécessite donc un plan très volontaire.
  • Améliorer l’efficacité énergétique du fret, soit en passant d’une énergie thermique à l’énergie électrique, soit via le report modal.
  • Diversifier les modes de transport :
    • Le fluvial est anecdotique en Bretagne
    • Une réflexion sur maritime pour transport intra régional serait pertinente, sachant que cela nécessite de la souplesse : + 1 jour au moins
    • Le développement acté du ferroviaire ne contribuera que marginalement aux objectifs nationaux. Même si le fret ferroviaire se développe très très fortement, ce ne sera pas à la hauteur des objectifs nationaux (objectif de part modale à 18% en moyenne nationale, la Bretagne pouvant atteindre maximum 5%)
    • Le développement de la cyclologistique, bien lancé en Bretagne, mais qui nécessite une évolution de l’infrastructure régionale et plus largement de la place de la logistique en général

Selon The Shift Project, les efforts seront d’autant plus importants (30% supplémentaire par rapport au niveau national) à faire sur certains leviers que le report modal est limité en Bretagne. Il faudrait notamment limiter la demande de transport et accélérer la transition énergétique. Les priorités seraient alors une électrification accélérée des VUL, l’expérimentation des routes électrifiées et l’utilisation de bio-gaz et de bio-carburants (B100, HVO)

L’évolution associée des emplois et compétences

Les chiffres sur l’emploi sont difficiles à objectiver sans connaître l’évolution de la demande de transport. Mais The Shift Project prévoit que la transformation liée à la décarbonation du fret se traduise d’abord par une forte baisse en Bretagne des emplois dans le transport de marchandises (-20% après transformation, passant de 37 000 emplois à 30 000). C’est significatif par rapport au scénario national, qui prévoit une stabilité des emplois du transport avant et après transformation.

Deuxième enseignement : la transformation devrait avoir des effets très contrastés sur l’emploi selon les modes de transport. Le nombre d’emplois devrait baisser dans le transport routier (-10000 emplois environ). Cette baisse serait corrélée, selon The Shift Project, à une bien meilleure considération et valorisation du métier de conducteur·rice. A contrario, l’emploi devrait augmenter en cyclo-logistique (+5000) et dans le ferroviaire.

Côté formation, The Shift Project met l’accent sur l’enjeu de formation des conducteur·rice·s de VUL à un module énergie/climat, voire à l’écoconduite.

Recommandations pour passer à l’action

Voici une synthèse des recommandations proposées par The Shift Projet :

  • Une gouvernance régionale du transport des marchandises articulant moyens financiers et infrastructures.
  • Cette gouvernance pourrait porter une stratégie ambitieuse avec des décisions politiques contraignantes pour limiter la demande de transport : obtention d’un certificat d’effort / de contribution à la décarbonation quand une entreprise (transporteur, chargeur ou commissionnaire) atteint ses objectifs ; règlementation sur les jours autorisés de livraison (6 à 5 jours/ semaine par ex) ; règlementation sur le sens des flux (ex : flux ouest -> est les jours pairs, est -> ouest les jours impairs) ; limitation du nombre d’acteurs par typologie de produits et par zone géographique (Délégation de Service Publique)
  • le financement du plan de renouvellement et d’électrification des VUL
  • l’électrification des principales routes bretonnes
  • l’accompagnement de la mutualisation et de la massification avec notamment
    • le pilotage de la localisation des sites et plateformes logistiques (plateformes multi-usages)
    • la politique de mise en œuvre de la multimodalité
  • l’accompagnement des reconversions liées à la baisse des emplois dans le routier

The Shift Project souligne que la Bretagne est un territoire propice pour inventer un nouveau modèle pour la décarbonation du fret. Dans ce modèle à tester, un pilote régional deviendrait autorité régionale organisatrice de transport. Il mobiliserait des financements et les infrastructures pour décarboner. Cette gouvernance innovante pourrait certainement se mettre en place en Bretagne plus facilement que dans d’autres régions. The Shift Project liste pour cela plusieurs facteurs favorables : la péninsularité de la Bretagne, son tissu économique, sa topographie, sa culture et son histoire récente.

Et sur le volet industriel de la supply chain ?

The Shift Project a également étudié la décarbonation de l’agro-agri-industrie. La prospective mobilise plusieurs tendances directement liées à la supply chain :

  • travailler sur les approvisionnements (relocalisation, re-territorialisation de systèmes alimentaires)
  • optimiser les emballages
  • améliorer le transport et notamment le remplissage des véhicules

La décarbonation des chaînes logistiques ne semble pas encore être un enjeu majeur pour les professionnel.le.s des secteurs agricoles et agro-alimentaires. Ce rapport intermédiaire souligne également la nécessaire mobilisation de la distribution, et notamment de la Grande et Moyenne Surface pour décarboner. C’est une véritable réorganisation des chaînes logistiques à prévoir !

Bref, ce rapport donne à voir l’étendue du chantier qui nous attend. On peut remettre en cause la façon de faire, les leviers à mobiliser, les priorités, etc. Mais force est de constater que la décarbonation des supply chains en Bretagne nécessitera une très grande ambition et un indispensable alignement des décideur.se.s politiques et économiques bretons.

Pour consulter le rapport intermédiaire dans son intégralité : https://theshiftproject.org/article/verb-rapport-intermediaire/

Pour contribuer aux travaux du Shift Project, vous pouvez faire vos retours par email à yannick.saleman@theshiftproject.org.